Écrit par Angela Dematté, L'estase de la lutte est un projet très intime et personnel de Carlotta Viscovo, actrice turinoise qui a été pendant des années la porte-parole des travailleurs et travailleuses du spectacle, dont la vie fait écho à celle de la sculptrice française Camille Claudel. Deux artistes qui ne savent pas concilier les choses : l'ambition liée à leur art et l'angoisse de la vérité et de la justice.
Sur scène, un corps se transforme en sculpture et dialogue avec la sculpture.
Derrière et à côté, les mots et les images concrètes et quotidiennes, logiques et fortes d'une vie présente et passée, celle de Carlotta et de ses luttes syndicales.
Un personnage qui traverse Carlotta et Camille. Un personnage qui explore la relation entre le corps et la protestation, entre la dimension intime et le rôle politique de l'artiste, entre l'art et le marché, l'ambition et l'autosabotage.
La parole comme outil de lutte ne suffit pas, il faut revenir au corps, le faire vibrer dans toute sa puissance, pour atteindre l'extase.
projet de et avec
Carlotta Viscovo
dramaturgie
Angela Dematté
supervision des mouvements
Alessandra Cristiani
dramaturge
Alice Sinigaglia
conception lumière
Luigi Biondi
musique et conception sonore
Marco Mantovani
supervision des costumes
Margherita Baldoni
installation scénographique/sculpturale
Ettore Greco
assistant du sculpteur
Anna Velludo
vidéo
Ivonne Capece
archives vidéo biographiques
Lorenzo Ponte
Margherita Orsini
production
LAC Lugano Arte e Cultura, TrentoSpettacoli, Elsinor Centro di Produzione Teatrale
avec le soutien de
Qui e Ora Residenza Teatrale, Campsirago Residenza, Festival Il Giardino delle Esperidi
Je ne trouve pas les raisons adéquates de mon identification à l'artiste Camille Claudel. Elle habite en moi depuis 2004, depuis que j'ai vu ses œuvres à Paris. Depuis lors, j'ai souhaité raconter son histoire pour la débarrasser de son rôle de victime paranoïaque et d'amante abandonnée, afin de rendre hommage à son œuvre. Mais dès que j'essayais de travailler dessus, je sentais que je perdais ma lucidité, j'en souffrais et je ne pouvais pas continuer. Pendant ce temps, elle restait en moi, m'accompagnait en silence, me contamina.
J'ai été pendant quatre ans et demi coordinatrice nationale de la section acteurs du SLC CGIL (Syndicat des travailleurs de la communication). J'ai accepté cette fonction parce que je ressentais le besoin de faire quelque chose pour défendre mon travail, en m'exposant publiquement. La conséquence concrète a été un sentiment d'exclusion, d'isolement, de persécution. Le choix de prêter mon nom à ce rôle m'a complètement identifiée à celui-ci, me donnant l'impression d'être enfermée dans quelque chose d'obsessionnel dont il me semblait impossible de me libérer. Lorenzo Ponte et Margherita Orsini, deux jeunes réalisateurs, ont filmé des heures et des heures de ma vie quotidienne, au moment où j'abandonnais mon rôle de coordinatrice du syndicat. C'est tout le matériel à partir duquel Angela et moi sommes parties.
Nous avons senti des parallèles entre ma vie et celle de Claudel. En explorant ces images, en essayant de les superposer à la sculpture, aux lieux de la vie de Camille, à mon corps qui vibre et tente de redonner un sens, nous avons construit la dramaturgie. Nous explorons la relation entre le corps et la protestation, entre la dimension intime et le rôle politique de l'artiste, entre l'art et le marché, l'ambition et l'autosabotage.
La voie formelle sera celle de la mise en scène de la sculpture de mon corps. Parallèlement, les mots et les images concrètes, logiques et fortes d'une vie présente et passée, la mienne et la sienne, tumultueuse, s'alternent dans la vidéo et dans le texte.
Camille et Carlotta ne savent pas garder les choses ensemble : leur expression créative, leur ambition de se démarquer et leur soif de justice, de vérité.
L'erreur a été de penser qu'il était juste de séparer ma protestation de la scène, alors qu'il faut mettre la protestation dans l'art, en l'incarnant.
Carlotta Viscovo est venue me voir il y a plus de deux ans, à la sortie de cette période de pandémie qui nous avait anéantis et qui l'avait vue passer des heures en visioconférence interminables, en tant que représentante de la catégorie des actrices et acteurs du syndicat. Elle est venue me voir pour me demander de travailler ensemble sur Camille Claudel.
Claudel est une figure qui a marqué de nombreuses femmes.
Elle m'avait également intéressée vers l'âge de 20 ans, à travers l'imaginaire d'un autre, Auguste Rodin, maître et amant de la sculptrice. L'histoire de cette femme qui, dans sa tentative d'émancipation, succombe au système et à la notoriété de son maître, semble être un rôle magnétique et, au fond, clair et réconfortant. Mais en lisant les lettres de la sculptrice, on découvre quelque chose de différent.
Je me souviens bien de la déception qui m'a envahie dès l'âge de 20 ans, au fur et à mesure que je lisais les lettres, en voyant ses revendications d'artiste passer d'une exigence juste et importante à une paranoïa écœurante.
La proposition de Carlotta m'intéressait beaucoup, surtout comprendre ce qui rendait si difficile et en même temps nécessaire le travail sur la sculptrice. Nous avons beaucoup discuté. L'intuition dramaturgique s'est imposée clairement au cours de longues réflexions lors de la première résidence avec Carlotta et Alessandra Cristiani : nous devions construire un dispositif théâtral qui nous permette de traverser cette obsession de Claudel pour nous en libérer. Pour être efficace, cette traversée impliquait une confrontation avec la condition de l'artiste aujourd'hui et, surtout, avec ses besoins concrets (économiques) et intimes (besoin de reconnaissance).
C'est ainsi qu'a commencé la construction d'un texte dans lequel Carlotta pouvait parler à travers Camille et Camille à travers Carlotta : une nouvelle Cassandre qui sait qu'elle ne plaît pas parce qu'elle voit des injustices et des vérités que les autres ne voient pas. Mais ce n'est qu'en parlant qu'elle parvient à exister et donc elle parle, mêlant vérité et peurs, construisant ainsi sa destruction et se clouant tragiquement au rôle qu'elle voudrait abandonner. Nous avons ensuite demandé à Alice Sinigaglia, avec sa jeune lucidité, de nous aider à regarder ce magma obsessionnel dans lequel nous voulions plonger le public. Après cette longue immersion, il nous était désormais impossible de comprendre si l'ironie et la tragédie du personnage que nous étions en train de créer correspondaient à ce que nous recherchions. Avec toute l'équipe, nous essayons jusqu'au bout de construire un dispositif dans lequel la vérité peut se révéler à travers la paranoïa, nous obligeant à décider si nous avons le courage de la suivre. Nous voulons surtout que la paranoïa soit enfin contrainte de se révéler et puisse ainsi être anéantie, démasquée par la vérité. La vérité qui, en dernier ressort, est le corps de l'artiste, désarmé, qui rit de ses peurs et des nôtres, soucieux uniquement de bien faire son travail.
Camille Claudel
Elle naît en 1864 à Fère-en-Tardenois. Aînée, elle aura deux frères, Louise et Paul, écrivain.
Sa mère, fille du médecin du village, est décrite par Paul comme une femme froide. Son père, percepteur, approuve et soutient les aspirations artistiques de ses enfants. C'est pourquoi la famille déménage à Paris.
Camille rencontre Rodin en 1884 ; entre eux naît une profonde compréhension artistique. Rodin hésite entre sa passion pour elle et Rose Beuret, qu'il ne quittera jamais et qu'il épousera en 1917. Dans ce tourbillon de sentiments, Camille produit des chefs-d'œuvre absolus : Sakountala, La Valse, Clotho, L'Âge Mûr.
Pour Camille, la sculpture est tout : ses lettres et les souvenirs de ceux qui l'ont connue en témoignent. Si elle a de l'argent, elle le dépense pour acheter des matières premières et payer ses modèles et ses fondeurs.
La rupture avec Rodin laisse une marque indélébile. Camille a 20 ans lorsqu'elle le rencontre ; à 33 ans, elle se retrouve seule face à un monde hostile à une femme qui, en plus d'exercer un métier d'homme, a eu une relation libre avec un homme beaucoup plus âgé. Camille commence à se négliger et à se sentir persécutée, s'enfermant chez elle et ne sortant que la nuit. Sa mère et son frère la font interner dans un asile psychiatrique le 10 mars 1913, une semaine après la mort de son père.
Rodin soutiendra toujours Camille ; même lorsqu'elle sera internée, il ne lui fera pas manquer son aide financière et voudra consacrer une salle à ses œuvres dans sa maison/musée.
Lorsque Camille meurt en 1943, personne n'assiste à ses funérailles.
Carlotta Viscovo
Née en 1977 à Turin, elle est l'aînée d'une famille qui comptera ensuite une deuxième fille, Serena, responsable des ventes et du marketing.
Sa mère, l'une des premières femmes à devenir professeure de tennis en Italie, dirige un centre sportif à Turin. Son père est juriste dans une banque. Tous deux lui transmettent un sens aigu de la rigueur et de la justice.
Après avoir échoué dans sa tentative de devenir joueuse de tennis professionnelle, elle montre dès son adolescence un talent pour le théâtre et son père est donc contraint d'accepter son choix de fréquenter l'École du Théâtre Stabile de Turin, où elle obtient son diplôme en 2000. Elle participe à la deuxième édition du Progetto Thierry Salmon, dirigé par Rodrigo García, et se forme auprès de maîtres tels que Danio Manfredini, Raffaella Giordano, Claude Coldy, Bruno De Franceschi, Valerio Binasco, Antonio Latella, Andriy Zholdak, Armando Punzo et Theodoros Terzopoulos. En 2000, il rencontre de nombreux maîtres : Luca Ronconi, Massimo Castri, Cesare Lievi, Valter Malosti, Andrea De Rosa, Carmelo Rifici, Mauro Avogadro, Massimo Popolizio, Emma Dante, Monica Conti, Alvis Hermanis, Christine Marnas, Jean Christophe Saïs, Dominique Pitoiset, Mamadou Dioume.
Pour Carlotta, le théâtre est tout : ses journaux intimes, qu'elle conserve chez elle, en sont remplis. Si elle a de l'argent, elle le dépense pour la recherche et la formation d'acteurs.
Sa rencontre avec le syndicat laisse une empreinte indélébile. Elle participe à l'élaboration d'un projet de loi visant à améliorer les conditions et les délais de création théâtrale, mais le syndicat décide de ne pas soutenir le projet. Carlotta a 38 ans lorsqu'elle entre au syndicat et lorsqu'elle le quitte, en 2021, elle se sent exclue, isolée, persécutée par son rôle syndical, auquel elle est identifiée. Elle ne travaille pas pendant 4 ans.
Elle ne perdra jamais l'envie de mener à bien son projet de spectacle sur Camille Claudel.
À partir de 2022, elle reprend le travail dans les spectacles L'ultimo animale de Caterina Filograno, La pulce nell'orecchio de Carmelo Rifici et Demoni de Claudio Autelli.
Corrispondenza di Camille Claudel, éditée par Anne Rivière et Bruno Gaudichon, éd. Abscondita
Camille Claudel di Anna Maria Panzera, ed. L’Asino d’oro
Mia sorella Camille di Paul Claudel, ed. Felici
Una donna chiamata Camille Claudel di Anne Delbée, ed. TEA
Camille Claudel. La sua vita di Odile Ayral-Clause, ed. Castelvecchi
L’arte di August Rodin, ed. Abscondita
La lezione dell’Antico di August Rodin, ed. Abscondita
La sparizione dell’arte di Jean Baudrillard, ed. Abscondita
Camille Claudel e Paul Claudel: le rêve et la vie, ed. Lienart
Il ritorno di Dyonisos di Theodoros Terzopoulos, ed. Cue Press
Autoritratto di Carla Lonzi, ed. La Tartaruga
Chiara Fumai – Exhibition, ed. Arte
Voici la séquence des sculptures et des portraits incarnés par Carlotta Viscovo pendant le spectacle:
1. Camille Claudel, Rêve au coin du feu
2. Camille Claudel, La Joueuse de flûte
3. Camille Claudel, L’implorante [à l’envers]]
4. Camille Claudel, La jeune fille à la gerbe
5. Camille Claudel, Les Causeuses
6. Camille Claudel, Profonde pensée
7. Camille Claudel, L’implorante
8. Camille Claudel, L’homme penché
9. Camille Claudel, L’écume
10. Camille Claudel, L’implorante [à l’envers]
11. Auguste Rodin, La pensée
12. Camille Claudel, L’aurore
13. Auguste Rodin, La convalescente
14. Auguste Rodin, L’adieu
15. Auguste Rodin, La cathédrale
16. Auguste Rodin, Tête de Camille Claudel [+ main]
17. Auguste Rodin, Femme accroupie
18. Auguste Rodin, Le Baiser
19. Camille Claudel, Clotho
20. Camille Claudel, Sakountala
21. Camille Claudel, La Vague
22. Camille Claudel, L’Âge mûr
23. Camille Claudel, Persée et la Gorgone
24. Photo de Camille à l'asile
LAC, Lugano
11.10.2024
LAC Lugano Arte e Cultura
11-12.10.2025
Teatro Fontana, Milano
11/12.02.2025
Teatro Testori, Forlì
15.04.2025
Il corpo della lotta
(version spécifique au site)
26.01.2025
Studio di Federico Seppi, Malgolo (TN)